Petit vol bivouac à la Grande Sure

Benjamin nous raconte son aventure épique qui part du parking d’Aiguebelette pour se terminer à Voreppe. Tout ne s’est pas passé comme prévu : Des prévisions incertaines, aux aléas du cross et des choix de ligne, la chance à fini par tourner et il termine posé à 20h du soir, au sommet de la Grande Sure avec une lumière magique.


Trace GPX : https://www.visugpx.com/iJwKut1Tgl

Je pars à 11h pour Aiguebelette sans grande conviction, les prévisions changent chaque jour depuis 1 semaine, mais il se dessine une journée favorable.

Cette journée volable, c’est lundi 10 juin. Flux de Nord juste avant un front chaud qui arrive le lendemain. La fenêtre est courte.
Je pioche dans mes projets de vol préparés pendant l’hiver, qui se prêtent à un flux de Nord : 

Un vol bivouac sur 2 jours depuis le massif de l’Epine vers le Sud de la Chartreuse, il faut une tendance d’Ouest à Nord-Ouest avec des plafonds autour de 1900m

Ça fait longtemps que je guette une fenêtre favorable mais je n’ai jamais d’alignement des planètes avec la vie de famille et le travail. Le plus important c’est la première journée, avec le bivouac le soir. La deuxième journée peut être moins valable, je peux toujours descendre à pieds.

Mon sac fait 13,5 kg sans l’eau, je pars avec 1,3 L d’eau environ. J’ai aussi mon matelas gonflable, mon duvet, une popote et des repas lyophilisés pour le soir.

Mon pack en détail : https://lighterpack.com/r/y53hsr

Arrivée à Aiguebelette sur l’heure de midi passée, je grignote un petit truc et je pars sur la longue marche qui mène au décollage de l’Epine. Il a plu toute la nuit et même un peu ce matin, donc je ne suis pas pressé, le sol est trempé et les montagnes sont accrochées par des bancs de stratus qui marquent l’humidité relative. Il faudra un peu de temps pour que le soleil assèche tout ça, et ainsi laisser place à des ascendances convenables pour moi.

J’arrive au décollage à 14h30, il y a un gros cumulus au-dessus de Novalaise, devant le massif, qui met tout à l’ombre. Le décollage n’est pas du tout alimenté, un signe qu’il faut encore ne pas se presser, et attendre le retour du soleil pour avoir une chance de tenir en l’air. Il est 15h30 quand je décolle.

Je pars classiquement sur la droite et le thermique du château Richard. Arrivé à 1300m au nuage, je décide de remonter vers le nord pour tester la masse d’air.
En effet, le mont Grelle est encore accroché par les nuages et les lignes hautes tensions qui le traversent ne sont même pas visibles. J’ai le temps.

Le début du vol me met devant un premier choix difficile : 

  • suivre la crête, avec l’ascendance dynamique, mais aujourd’hui toute la crête jusqu’au Mont du Chat est à l’ombre d’un cumulus dans la plaine à l’ouest
  • avancer sur la plaine et me caler sous le nuage, mais s’écarter de l’appuie dynamique

Je pars sur la plaine, c’est souvent mon choix quand il y a des plafonds bas et beaucoup d’humidité dans l’air. Je suis ma ligne tranquillement pendant 10km, me maintenant autour de 1300m. Je décide de me rapprocher de la crête pour atteindre au Nord du massif le relais du Chat, mais j’arrive dans un hors cycle terrible. Je plombe jusqu’au sol. Il est 16h, au milieu des champs, je suis dépité…

 

En repliant mon aile, je réfléchis à décoller depuis le Mont du Chat, j’y suis presque et cela m’éviterais un hasardeux périple en stop, il faut quand même se taper 800m D+. Je pars sur la route qui monte au relais, et je croise une camionnette blanche qui s’arrête pour me proposer de monter. Le conducteur est aussi pilote, il s’appelle Cyril. Nous ferons un bout de chemin ensemble. La chance a peut-être tourné.

Nous décollons à 17h, c’est maintenant un vol de groupe. La masse d’air est bien allumée et l’extraction est une formalité. Nous traçons vers le Sud avec une bonne marge d’altitude de navigation : entre 1300 et 1700. De retour au-dessus du décollage d’Aiguebelette, un gros cumulus se trouve devant le Grelle et le met tout à l’ombre. Nous temporisons un peu pour éviter le hors cycle cette fois. L’air porte bien, comme souvent dans les ciels de traîne et nous avançons bien décalé au-dessus de la plaine. 

Nous arrivons enfin au Mont Grelle à 17h45, c’est là que tout se décide : si je pars en transition vers la Chartreuse il sera trop tard pour revenir avec le vent de Nord qui se renforce en fin de journée. Je peux encore rentrer au parking pour assurer une nuit au chaud. Au-dessus des lignes hautes tension, nous prenons une catapulte qui nous amène à 1700m, dans une ascendance large et homogène à +5m/s.

Cyril me conseille de partir en transition depuis le Grelle, c’est plus court mais il faut une altitude plus minimum de 1800m, car en passant derrière on se retrouve dans une petite machine à laver ! C’est ici que nos routes se séparent.

Je préfère aller voir au Beauvoir si je trouve mieux, mais je perds 1h à chercher une ascendance suffisante pour partir en transition. Retour en arrière au Grelle, il est 18h45 → je fais le plafond à 1900 et je pars en transition. Je me fais un peu malaxer, mais une fois arrivé sur le flanc ouest de la Chartreuse, le dynamique fonctionne super bien, et les crêtes montent à 1800m d’altitude. Je longe les crêtes avec le vent du Nord qui se renforce un peu plus encore, j’avance bras haut à 50km/h.

Petit à petit, les détails de la Grande Sure apparaissent, et je ne suis maintenant qu’à quelques kilomètres. Les nuages en plaine étendent leur ombre et bientôt il ne reste que le haut des montagnes à la lumière.

La vidéo :

Je suis à 1300m quand j’arrive sur l’épaule Nord Ouest de la Grande Sure. Pour poser là haut il me manque 400m. Je vise précisément cette épaule car elle est au vent, j’espère pouvoir utiliser le dynamique étant donné l’horaire, les bonnes ascendances se font rares. Ça marche et j’arrive bientôt à apercevoir l’alpage que j’avais repéré. Je suis fatigué, j’ai froid avec mon short, et je suis parti depuis midi, mais j’y suis presque ! 

En quittant l’épaule pour rejoindre l’alpage, je passe bien au-dessus d’une combe orientée Sud Ouest, à cet endroit un gros thermique est présent de 3m/s, mais je n’en ai plus besoin, j’ai maintenant 200m de marge.

Mon approche se fait sur le côté ouest, je teste à bonne distance la vitesse du vent. Si il est trop fort, mon plan B sera de dégager vers l’ouest pour poser loin en plaine. Je fais des 360 lentement pour mesurer sur mon GPS ma vitesse sol au fur à mesure que je me rapproche, et la compression accélère le vent.

Je suis à quelques mètres du sol, j’avance à 9 km/h, mais c’est très laminaire : je décide de poser sur un dôme bien arrondi et de faire mon approche par le côté.
Je pose, il est 19h56.

Je passe la nuit dans la cabane de Jusson, je l’ai pour moi tout seul.
Le lendemain est trop ventée pour moi, le vent du Nord s’est encore un peu renforcé pendant la nuit et ma destination se trouve dans le venturi de la vallée menant à Grenoble. Ce vent se fera compresser. Je décide de descendre à pieds, en profitant autrement de la montagne. 

Je suis à Voreppe, les genoux en vrac, je monte dans le train -> Grenoble -> Chambéry -> Aiguebelette le Lac, puis quelques kilomètres autour du lac pour revenir au point de départ 🙂

La vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=dvbqpJcEah0